Café IA : l’intelligence artificielle entre au bistrot de la démocratie

Alors que l’intelligence artificielle s’impose dans tous les débats, le gouvernement confie à Gilles Babinet la mission de pérenniser “Café IA”, une initiative citoyenne lancée en 2024 pour permettre à chacun de comprendre et discuter des enjeux de l’IA. Objectif : structurer ce dispositif participatif et en faire un pilier durable du dialogue démocratique, avec deux millions de participants visés d’ici 2027.

On l’imagine volontiers, ce Café IA, comme une table en formica, quelques chaises dépareillées et des débats aussi corsés que le café qu’on y sert. Mais derrière le nom faussement anodin, l’initiative lancée en 2024 sous l’impulsion du Conseil national du numérique a tout d’une ambition démocratique de grande ampleur : celle de rendre l’intelligence artificielle (IA) intelligible, discutable, et surtout, appropriable par toutes et tous.

Et c’est justement pour que cette dynamique ne reste pas un feu de paille que Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, a décidé de confier à Gilles Babinet une mission de consolidation. Une forme de « deuxième infusion » pour cette démarche qui a déjà réuni près de 10 000 participants et mobilisé une centaine de structures partenaires (collectivités, associations, institutions publiques, entreprises) en un an à peine.

Un dialogue citoyen sur l’IA, sans jargon ni condescendance

Depuis mai 2024, Gilles Babinet pilote ce dispositif atypique, plus proche du débat de quartier que du colloque ministériel. La promesse ? Offrir un espace où chacun peut comprendre, interroger, débattre de l’IA. Non pas en écoutant passivement les experts, mais en échangeant avec ses voisins, dans un cadre convivial et horizontal. Une démocratie technique de proximité, en somme, pour reprendre les termes du ministère.

« Là où la technologie peut induire de l’isolement, de la peur et donc du repli sur soi, Café IA vise à remettre les gens autour de la table pour redonner du pouvoir d’agir », résume Gilles Babinet. Et ce ne sont pas des paroles en l’air : à mesure que les Cafés IA se sont multipliés sur le territoire, les organisateurs ont vu émerger un mélange d’enthousiasme, de curiosité et de bienveillance, bien loin des crispations parfois redoutées.

Objectif 2027 : deux millions de citoyens autour de la table

La mission confiée à Gilles Babinet prend une nouvelle tournure en ce mois de juin 2025. Le gouvernement fixe la barre haut : atteindre deux millions de participants d’ici 2027. Pour y parvenir, il mise sur un écosystème déjà bien en place mais qui doit désormais changer d’échelle. Cela passe par une structuration plus solide, un cadre juridique et organisationnel à inventer, et un modèle économique qui devra s’ouvrir à des financements hybrides.

La mission, d’une durée de trois mois, doit proposer les fondations d’un dispositif pérenne : ouvert, durable, financièrement soutenable, capable d’articuler intelligemment investissements privés et actions publiques. Il s’agira aussi d’inscrire Café IA dans une synergie durable avec les acteurs de la médiation numérique, du monde éducatif, du travail, et de la cohésion territoriale.

Pour soutenir cette montée en puissance, plusieurs leviers sont déjà enclenchés. Depuis mars 2025, les conseillers numériques – figures-clés de la médiation sur les territoires – sont mobilisés via un programme coordonné par l’Agence nationale de la cohésion des territoires, avec la Mednum, la Banque des Territoires et Les Assembleurs. Une manière d’enraciner Café IA dans les réalités locales, sans en faire une opération de communication descendante.

Quand la République se branche à la prise de l’IA

Au-delà des chiffres, c’est une vision de la démocratie que cette initiative porte en creux. Une démocratie où la compréhension des enjeux technologiques n’est plus l’apanage d’une élite savante mais devient un droit fondamental, au même titre que l’accès à la santé ou à l’éducation. « L’intelligence artificielle ne peut être l’affaire de quelques experts », insiste Clara Chappaz. « Grâce à Café IA, nous voulons donner à chacun les clés pour comprendre et débattre, dans l’esprit démocratique qui fonde notre République. »

C’est là sans doute le plus singulier dans cette démarche : ne pas traiter l’IA comme une technologie parmi d’autres, mais comme un fait politique, un objet social, un miroir de nos choix collectifs. Et plutôt que de répondre à l’IA par la peur ou le fatalisme, en faire un sujet d’émancipation citoyenne.

Vers une démocratie augmentée ?

Il faudra évidemment plus que des cafés citoyens pour apprivoiser les algorithmes et leurs implications économiques, sociales, éthiques. Mais il y a dans cette volonté de “ramener l’IA sur la place du village” une intuition juste : celle que le futur ne se négocie pas dans les labos, mais à hauteur d’homme et de femme, dans les mots simples des vies ordinaires.

Encore faut-il que cette effervescence citoyenne soit accompagnée, structurée, et surtout financée. La mission de Gilles Babinet s’annonce donc stratégique, entre diplomatie institutionnelle, montage juridique et recherche de soutiens pérennes. Avec, en ligne de mire, une IA qui ne serait pas subie mais discutée, choisie, orientée.