Alors que l’intelligence artificielle s’invite dans tous les services publics, Toulouse Métropole choisit la méthode plutôt que la précipitation. Le Conseil métropolitain vient d’adopter à l’unanimité une stratégie de la donnée et de l’IA fondée sur huit principes d’éthique et de souveraineté. Objectif : gouverner les algorithmes avant qu’ils ne gouvernent l’action publique.
Le 15 octobre 2025, dans la vaste salle du Phare à Tournefeuille, les élus de Toulouse Métropole ont voté à l’unanimité une délibération que beaucoup jugeront fondatrice : la stratégie métropolitaine de la donnée et de l’intelligence artificielle. Derrière les mots feutrés de l’administration, un message clair : l’IA n’est plus un gadget de laboratoire ni un sujet d’incantation politique, mais un outil public à encadrer, maîtriser et penser collectivement.
Sous la présidence de Jean-Luc Moudenc, le Conseil a adopté huit principes qui guideront désormais toute mise en œuvre de la donnée et de l’intelligence artificielle dans l’action publique locale. Ce texte, adopté par 124 voix et sans opposition, marque une étape structurante : il ne s’agit plus seulement d’expérimenter des algorithmes, mais d’en définir la philosophie.
De la donnée à la décision
Avant d’être une affaire d’IA, la délibération parle surtout de données : ces « actifs immatériels » que la Métropole traite depuis des années pour piloter ses politiques publiques. Leur utilisation s’organise désormais autour d’un Pôle Data rattaché à la Direction de la Transition Numérique, épaulé par un tout nouveau Comité de la Donnée et de l’IA. Ce comité, présidé par le vice-président en charge du numérique, réunira des profils clés (du Délégué à la Protection des Données au Responsable de la Sécurité des Systèmes d’Information) pour garantir la mise en œuvre concrète des principes votés.
« L’enjeu de la data, c’est de la transformer en connaissance ou en service », rappelle le document, citant la philosophie générale de la collectivité : rendre le numérique utile, visible, mais jamais envahissant.
Huit principes pour une intelligence publique
Le premier de ces principes tient en trois mots : transparence, équité, non-discrimination. La Métropole entend ouvrir les algorithmes qu’elle utilise et surveiller de près tout biais susceptible d’induire des injustices. Le numérique ne sera jamais juge des comportements humains : aucune décision administrative automatisée ne sera prise sans discernement.
Deuxième cap : replacer l’humain au centre. L’intelligence artificielle doit « faciliter la réalisation des politiques publiques », non pas les remplacer. Une ligne rouge est d’ailleurs tracée : aucun outil d’IA ne sera déployé en interaction directe avec les citoyens. Les algorithmes soutiendront les agents, jamais l’inverse. L’idée est simple : délester les personnels des tâches répétitives, leur rendre du temps et de la valeur.
Viennent ensuite la performance (technique et organisationnelle), la cybersécurité et la soutenabilité environnementale. Trois piliers pragmatiques : rationaliser les outils, garantir la continuité des services même en cas d’attaque, et limiter l’empreinte écologique du numérique. La sobriété devient un réflexe : les projets inutiles ou obsolètes seront réévalués et, le cas échéant, décommissionnés.
Souveraineté et rigueur juridique
Le principe 7, celui de la souveraineté, sonne presque comme une devise. La collectivité veut « maîtriser ses solutions de bout en bout » et ne pas dépendre aveuglément de prestataires extérieurs. L’autonomie technique et intellectuelle devient une condition de crédibilité publique : externaliser, oui, mais jamais sur les activités stratégiques. Ce volontarisme trouve un écho particulier à Toulouse, où la recherche en IA s’incarne déjà dans le cluster ANITI, soutenu par la Métropole et reconnu parmi les neuf pôles d’excellence nationaux.
Enfin, la conformité réglementaire vient clore le cercle : RGPD, Data Act, IA Act… la collectivité s’engage à appliquer, sans délai, toutes les législations européennes et françaises en vigueur. Une veille juridique permanente accompagnera chaque innovation pour éviter les dérapages que l’emballement technologique rend si faciles.
Ici, l’intelligence n’est pas qu’artificielle : elle est aussi collective. Toulouse préfère les algorithmes utiles aux mirages technologiques. Une façon de rappeler que, même à l’ère des machines pensantes, la lucidité reste une ressource humaine.
