Fondé par Pavel Durov, Telegram s’impose comme un acteur singulier des réseaux sociaux, à mi-chemin entre messagerie sécurisée et plateforme d’information globale. Alors que son fondateur fait l’objet d’une arrestation controversée, l’application continue de redessiner les usages numériques, se positionnant comme un outil central dans les sphères médiatiques, militantes et culturelles.
Telegram est bien plus qu’une simple application de messagerie. Fondée en 2013 par Pavel Durov, créateur également connu pour son rôle dans la naissance de VKontakte (le Facebook russe), Telegram revendique une mission de protection de la vie privée et de liberté d’expression. Sa promesse initiale repose sur un cryptage avancé et une indépendance face aux géants du numérique, un positionnement qui lui a valu une adoption rapide, notamment dans les cercles sensibles à la confidentialité des échanges, comme les journalistes, les activistes, et les professionnels de la cybersécurité.
En novembre 2024, cette indépendance a toutefois été remise en question par l’arrestation de Pavel Durov à son arrivée en France. Cet épisode relance les débats sur l’ambivalence de Telegram, perçue à la fois comme un bastion de liberté et un espace où prolifèrent des activités plus opaques, voire illégales. Malgré cette arrestation, l’application continue d’attirer des utilisateurs : elle revendique aujourd’hui près d’un milliard d’inscrits, consolidant ainsi sa position dans un paysage où X (anciennement Twitter) et Threads se disputent également l’attention des internautes.
Une montée en puissance dans le paysage numérique
Depuis janvier 2024, Telegram a été mentionné plus de 207 millions de fois sur les réseaux sociaux, un chiffre en nette progression par rapport à l’année précédente. Si son image reste associée à des thématiques comme la cybersécurité et l’OSINT (Open Source Intelligence), son influence dépasse largement ces niches. La plateforme est désormais un espace de discussions généralistes, accueillant aussi bien des débats sur l’actualité que des échanges autour du divertissement, de la tech ou encore de l’éducation financière.
Ce glissement vers une utilisation plus grand public s’observe notamment dans le domaine des marques. Louis Vuitton, par exemple, figure parmi les entreprises les plus citées sur Telegram, avec plus de 6 000 mentions mensuelles. Comparativement, ce chiffre représente une activité 44 % supérieure à celle enregistrée sur LinkedIn, un acteur pourtant établi dans le domaine du marketing digital. Cet engouement marque un tournant : Telegram n’est plus seulement un outil fonctionnel, mais devient un véritable réseau social compétitif, rivalisant avec des plateformes comme TikTok ou YouTube.
Un rôle central dans l’information et la mobilisation
Telegram ne se contente pas d’être un espace de divertissement ou de consommation passive : il se positionne également comme un outil majeur dans la diffusion et la discussion de l’actualité. Selon les données de Visibrain, 30 % des conversations sur la plateforme sont liées à des événements d’envergure locale, nationale ou internationale. Cette proportion fait de Telegram un concurrent direct de X pour les discussions instantanées autour des grandes thématiques sociétales.
Par ailleurs, la plateforme joue un rôle prépondérant dans les dynamiques militantes. Grâce à ses canaux publics et à son modèle de groupes fermés, Telegram s’est imposé comme un espace privilégié pour les activistes, qui y coordonnent des campagnes et y partagent des messages percutants. À titre d’exemple, des organisations comme Soulèvements de la Terre y orchestrent des actions contre des entreprises comme TotalEnergies, accusées de projets écocidaires. Ce rôle d’amplificateur pour les mouvements sociaux illustre l’influence croissante de Telegram dans la sphère publique, tout en alimentant les débats sur la régulation des plateformes numériques.
Le divertissement et l’éducation, des piliers inattendus
Contrairement à son image parfois austère, Telegram se révèle également un espace riche pour les contenus culturels et éducatifs. Près de 28 % des échanges sur la plateforme concernent des sujets liés au divertissement, qu’il s’agisse de recommandations de séries, de critiques cinématographiques ou de discussions autour de la musique. Avec plus de 1,4 milliard de vues cumulées sur ces thématiques, Telegram rivalise désormais avec des réseaux comme TikTok en termes d’engagement culturel.
L’éducation, notamment financière, constitue un autre pilier de son développement. De nombreuses chaînes spécialisées partagent des conseils sur les cryptomonnaies, la gestion de patrimoine ou les marchés financiers, attirant des millions de vues et fidélisant des communautés d’apprenants. Ces échanges, qui représentent 10 % des discussions sur la plateforme, renforcent la diversité de ses usages, faisant de Telegram un outil à la fois ludique et instructif.
Une plateforme sous tension, entre innovation et régulation
L’ascension de Telegram soulève autant de questions qu’elle offre de perspectives. D’un côté, la plateforme incarne un modèle innovant, capable de répondre aux besoins d’un public en quête de liberté et de confidentialité. De l’autre, elle concentre les critiques, notamment sur sa gestion des contenus problématiques et sa posture face aux régulateurs internationaux.
Alors que les débats autour de la régulation des réseaux sociaux s’intensifient, Telegram illustre une tension plus large : comment concilier innovation technologique, liberté d’expression et responsabilité sociétale ? Si l’application de Pavel Durov semble avoir trouvé un équilibre fragile, son avenir reste suspendu à des décisions politiques et économiques qui pourraient redéfinir les contours de son influence. Telegram sera-t-il un précurseur durable ou une étoile filante dans l’écosystème numérique mondial ?