Trente heures sans sommeil, des litres de café et une même envie : prouver que l’intelligence artificielle peut servir le réel. Entre rires nerveux, bugs de dernière minute et coups de génie nocturnes, le hackathon IA for Impact, organisé par La Mêlée, a transformé l’ENSEEIHT en véritable laboratoire humain et numérique.
Samedi 27 septembre, 14 heures. Le soleil tape sur les vitres de l’ENSEEIHT, comme si le festival de la Mêlée Numérique refusait de s’éteindre. Dans les couloirs, quelques matelas traînent encore, témoins d’une nuit qui n’a pas vraiment connu de fin. Des tasses froides, des ordinateurs encore allumés, des visages défaits mais heureux. Clément Bolognesi, chargé de mission innovation à La Mêlée, nous accueille le sourire large malgré une main cloquée. « Je me suis brûlé à 3 h du matin en essayant de faire du café », raconte-t-il avec la désinvolture qui le distingue. Le symbole est parfait : pour ce premier Hackathon IA for Impact, tout le monde a mis la main à la pâte, quitte à s’y brûler un peu.
Trente heures pour inventer l’utile

Lancé en clôture du festival, le hackathon a réuni pendant trente heures non-stop des étudiants, des experts, des développeurs, des designers et des chefs d’entreprise autour d’une même promesse : imaginer des prototypes d’intelligence artificielle capables d’avoir un impact positif, concret, mesurable.
Les partenaires n’avaient pas apporté de concepts abstraits, mais des cas d’usage bien ancrés dans la réalité : optimiser les plannings des pompiers (SDIS31, ANITI, Airbus), améliorer l’accessibilité web (BPCE SI), aider les agents RH grâce à un assistant vocal (iMSA), planifier les interventions du réseau électrique (ENEDIS), organiser le transport des jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance (Département de la Haute-Garonne) ou encore centraliser les données agricoles (Lallemand).
L’effervescence d’une nuit blanche

« La fatigue, l’entraide, et ce petit côté compétitif », résume Clément Bolognesi. Car dans la salle, les équipes ne dorment pas, elles carburent. Les mentors se prennent au jeu, chacun défendant « son » projet comme un coach sur le bord du ring. Les rires alternent avec les moments de silence tendu où l’on n’entend que le cliquetis des claviers. «J’aurais préféré faire ça sur deux jours, en journée, mais bon… c’est passé », sourit Yasmina Abou El Abbas, 22 ans, étudiante à l’ENSEEIHT et gagnante du projet du SDIS31. Son équipe a imaginé une application web où chaque pompier indique ses disponibilités, et où la planification se génère automatiquement, prenant en compte les gardes, les astreintes, les nuits. Simple, mais révolutionnaire pour ceux qui passent encore leurs week-ends sur des fichiers Excel. À la question « Aurais-tu envie de faire un autre hackathon de ce genre ? », Yasmina répond : « Pourquoi pas ».
Autour d’elle, certains ont tenu la nuit entière, d’autres ont cédé à la fatigue vers 4 h. Enzo Fragale, CEO d’OdyssIA et vainqueur du hackathon avec le projet iMSA, se souvient de « ce moment vers trois heures du matin où tu veux dormir, mais tu sens que tu tiens quelque chose, alors tu continues, et d’un coup tout marche ». Un instant d’euphorie lucide, où le cerveau carbure à l’adrénaline et au café tiède. Leur idée : un assistant IA interne pour faciliter la gestion administrative RH, sorte d’Alexa d’entreprise. Le projet a séduit le jury, notamment par sa démonstration fluide et sa vidéo de présentation, montée à la dernière minute.
L’esprit d’équipe avant tout

Au-delà des lignes de code, c’est la camaraderie qui a marqué les esprits. « On a tous eu notre moment de prise de lead », confie Enzo. Personne ne brille seul dans un hackathon : la fatigue rend tout le monde vulnérable, et c’est souvent là que l’intelligence collective se révèle. Certains apportent leur expertise technique, d’autres tempèrent, organisent, reformulent. À 5 h du matin, un bug résolu vaut un triomphe.
L’équipe d’organisation, elle aussi, a tenu la ligne sans faiblir. Clément Bolognesi, accompagné de Matias Estaño, de Mallory Gombault et Nicolas Trouillet (animateurs de la commission IA à La Mêlée), de Sophie Joly (formatrice, et fondatrice de Coach&Play) et du cabinet Oresys pour le soutien technique, a piloté cette mini-tempête avec un calme apparent. « On travaillait dessus depuis avril, avec les partenaires. On voulait que chaque challenge ait un vrai fond, pas juste un thème jeté sur la table », souligne-t-il. Pari tenu : tous les sujets avaient une application directe, et plusieurs entreprises, comme GRDF, ont déjà pris contact avec leurs équipes pour poursuivre le travail.
Quand l’IA se met au service du concret

Les partenaires, justement, ont salué le sérieux du format. « Le hackathon permet d’avoir quelque chose de concret en quelques heures, grâce à une émulation collective », explique Corinne Favaro, directrice Domaine Méthode chez BPCE Solutions Informatiques. Son collègue Frédéric Veillepeau ajoute : « Ce sont des sujets sur lesquels on a du mal à trouver des solutions immédiates sur le marché. Le hackathon permet d’explorer des angles auxquels on n’aurait pas pensé. » Une manière élégante de dire que l’innovation a besoin de terrain et de tension pour émerger.
Dans la salle, les participants ne sont pas venus “jouer à l’ingénieur”. Ils viennent comprendre, construire, confronter. « Je n’ai jamais vu un aussi bon niveau dans un hackathon à Toulouse », glissait Romaric Redon, directeur d’ANITI. Le directeur général d’iMSA, Jacques Bouldoires, récemment nommé “Homo Numéricus”, était là pour le rappeler : les solutions créées ne resteront pas lettre morte. Le projet vainqueur, tout comme celui du Conseil départemental de Haute-Garonne arrivé second, devrait connaître des prolongements.
Une première édition qui en appelle d’autres

« C’était un week-end, un soir… cela demandait beaucoup d’engagement et effectivement on craignait que les gens ne viennent pas », admet Clément Bolognesi. « Au contraire, la salle était pleine, l’énergie incroyable. » Entre la logistique, les repas improvisés, les mentors infatigables et les participants enroulés dans leurs sacs de couchage, cette première édition avait des airs de camp de base pour expédition numérique.
L’ambiance, dense mais bienveillante, a visiblement donné envie de recommencer. Un débrief avec les partenaires est prévu le mois prochain, pour évaluer les projets et préparer la suite. « Quand on a vu l’engouement, on s’est dit qu’on pouvait aller encore plus loin », conclut Clément, sourire en coin et tube de Biafine à la main.
La nuit des cerveaux
Au fond, le hackathon IA for Impact aura eu le mérite de rappeler que l’intelligence artificielle n’a rien de froid ni de désincarné. Elle est faite de fatigue, d’improvisation, de rires nerveux et de complicités naissantes. Elle naît d’un excès : celui de croire que trente heures peuvent suffire à changer quelque chose, même un peu. Et souvent, c’est vrai.
Sur la photo de couverture: Participants, organisateurs et mentors réunis après trente heures de défi pour la remise des prix du hackathon IA for Impact, avant de lever le verre du cocktail final pour ceux encore assez éveillés. (©Solène Bernard).
