20 années sont passées depuis la création de Nubbo. Une bien belle et longue aventure au plus proche des start-ups d’Occitanie que la directrice de l’incubateur a accepté de nous raconter. De l’incubateur Midi-Pyrénées à la crise sanitaire, des années 2000 à la « mode start-up » en passant par l’émergence récente des projets Deep Tech… Anne-Laure Charbonnier revient sur les hauts et les bas qui ont marqué l’histoire, non seulement de l’incubateur, mais aussi de l’écosystème en général, avant de dresser un état des lieux relativement rassurant à l’aube d’une année 2021 encore pleine d’incertitudes.
Anne-Laure Charbonnier, Nubbo fête ses 20 ans cette année. Qu’est-ce que cela vous évoque ?
Cela me rappelle beaucoup de très beaux projets, et une évolution parallèle à l’écosystème qui a été extrêmement changeant en 20 ans. Durant ses 10 premières années, Nubbo, qui s’appelait à l’époque l’Incubateur Midi-Pyrénées, était presque seul sur son créneau d’accompagnement de création d’entreprises innovantes, il existait très peu de structures. Nous étions sur une mission de service public d’accompagnement de ces créations de jeunes entreprises innovantes avec quasiment aucune concurrence. Puis il y a eu une deuxième période, que j’appelle trivialement la « mode start-up » entre 2013 et 2017. Nous avons alors pu voir apparaître une floraison de projets, avec les avantages et les excès des effets de mode.
Ces avantages et excès de la « mode start-up », quels étaient-ils ?
D’un côté, l’entrepreneuriat était enfin fortement valorisé, ce qui n’était pas du tout le cas auparavant. Les établissements d’enseignement supérieur se sont mis à prioriser la voie de l’entrepreneuriat comme une voie de placement de leurs étudiants. Un autre avantage a été celui de faire confiance aux porteurs de projets ayant échoué pour leur redonner une chance et faciliter l’ouverture de nouvelles sociétés. À l’époque, l’échec entrepreneurial était assez stigmatisé, particulièrement en France. Il y a donc eu un revirement de mentalité et de valorisation extrêmement positif. D’un autre côté, c’était une époque où beaucoup de créations d’entreprise, même sans fondement économique clair, étaient parfois survalorisées.
Comment s’est passée cette période de 2013 – 2017 pour Nubbo ?
Elle a été assez compliquée pour l’incubateur. Nous avons eu une floraison de projets, mais avec des fondamentaux assez éloignés de ce que nous savions faire. Historiquement nous accompagnions des jeunes entreprises innovantes avec une forte dimension technologique. Or, beaucoup de projets d’applications grand public ont émergé pendant cette période, comportant très peu de technologie et des hypothèses d’innovation de modèles économiques parfois peu clairs. Concernant la concurrence, il y a aussi eu une éclosion d’une nouvelle génération de structures d’accompagnement, très attractives, basées sur des modèles économiques très différents du nôtre. Il a donc fallu que nous nous réinventions et nous repositionnions, ce qui ne fait jamais de mal.
Comment les choses ont-elles évolué par la suite ?
À partir de 2017-2018, peu de temps avant que BPI France annonce son gros plan Deep Tech, nous avons commencé à voir revenir des projets plus technologiques, tournés vers le B2B et avec des fondamentaux un peu plus solides. Je ne saurais vraiment expliquer ce phénomène-là, qui n’est pas spécifique à Nubbo. Quand on discute avec les collègues dans les pépinières d’entreprises ou les accélérateurs, c’est le même constat. C’est comme si on avait eu l’effet de crise de 2008 à fort retardement. Je pense que nous étions un peu au bout du modèle de start-up B2C aux business models un peu flous, avec des investisseurs en capital qui après avoir suivi ces projets dans leurs phases les plus précoces ne trouvaient pas leur rentabilité.
Aujourd’hui, alors que cela va faire un an que nous sommes en période de crise sanitaire en France, quel état des lieux pouvez-vous faire de l’écosystème start-up ?
Assez paradoxalement, l’état des lieux est plutôt bon aujourd’hui, avec quelques réserves sur la fin de 2021. Sur 2020, nous avons eu pour les start-ups que nous accompagnions deux cas de figure distincts. Dans le premier cas, qui est celui des start-ups qui étaient en phase de démarrage, cela s’est en moyenne aussi bien passé voire mieux que d’habitude. Les phases d’exploration de marché et de positionnement de leur modèle économique ont été une réussite. Probablement parce que, les interlocuteurs en question étaient plus disponibles qu’en temps d’avant-crise sanitaire, les projets accompagnés par Nubbo s’adressant plutôt à une clientèle « grands comptes » ou grandes entreprises industrielles. Dans le second cas, qui concerne les projets qui étaient en phase de lancement lors du premier confinement, cela a été plus délicat. Eux évidemment n’ont pas fait le chiffre d’affaires escompté. En revanche, tous les amortisseurs sociaux et financiers ont joué à plein pour ces projets-là. Les jeunes pousses ont optimisé au mieux les dispositifs d’aides, ce qui a permis de compenser le chiffre d’affaires qui n’a pas pu être réalisé. Ainsi, chez Nubbo, nous n’avons pas eu d’entreprises qui se sont arrêtées par situation de cessation de paiement faute de trésorerie suffisante. Chose qui, par rapport à des secteurs plus traditionnels, est une chance exceptionnelle.
Quelles réserves émettez-vous concernant la fin de 2021 ?
Comme dans beaucoup de secteurs économiques, nous attendons de voir comment se passera le deuxième semestre de 2021, lorsque nous en saurons davantage sur quand et comment tomberont les échéances de remboursement, notamment concernant les prêts garantis par l’État. La grande inconnue, elle est là.
Quelle est désormais la feuille de route de Nubbo ?
Aujourd’hui, nous souhaitons monter en puissance sur le volume de projets accompagnés, notamment pour être contributif à la Cité, lieu d’hébergement des start-ups livré par la région juste avant premier confinement. Nous avions un plan d’augmentation négocié avec nos principaux financeurs qui consiste à passer de 25 projets accompagnés par an fin 2017 à une cinquantaine de projets accompagnés fin 2021. Nous nous situons dans l’exécution de cette feuille de route. Pour l’instant elle est remplie, puisque nos objectifs quantitatifs ont été atteints, et même légèrement dépassés. Le tout sans dégrader ni la qualité des projets accompagnés ni celle de leurs résultats.
L’objectif d’accueillir un plus grand nombre de projets s’accompagnera-t-il d’un recrutement interne chez Nubbo ?
Les recrutements ont été faits en avance. Muriel Thuillier, directrice générale de Wesprint et ancienne créatrice d’entreprise que nous avions accompagnéé du temps de l’incubateur Midi Pyrénées, a rejoint l’équipe en 2019 comme chargée des sujets Business Developement. Thierry Merquiol, qui a été le directeur de l’incubateur de 2003 à 2008, nous a lui aussi rejoints en 2019. Parti cofonder Wiseed entre temps, il est aujourd’hui en charge des sujets de financement et de levées de fonds chez Nubbo.
Sur la photo: Anne-Laure Charbonnier, directrice de Nubbo.