Impulsée par le Président de la République Emmanuel Macron début 2018, la transformation du système de santé repose sur 5 grands chantiers qui devront être menés à bien d’ici 2022. Entretien avec Dominique Pon (Directeur général de la clinique Pasteur et Président de Santé Cité), missionné avec Annelore Coury (Directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins de la Cnam) pour piloter le chantier du numérique du plan « Ma santé 2022 ».
Les mesures du volet numérique du plan « Ma santé 2022 » présenté le 18 septembre par le Gouvernement, sont issues des propositions du rapport « Accélérer le virage numérique », que vous avez rédigé avec Annelore Coury. Comment avez-vous travaillé dans le cadre de la mission qui vous a été confiée ?
Dominique Pon : « Nous sommes allés sur le terrain ! D’avril à juin 2018, nous avons mené une large consultation auprès des institutionnels, des ARS, des acteurs du numérique (éditeurs, industriels, startups…), des professionnels de santé et des patients, afin de recueillir leurs visions et propositions pour élaborer une feuille de route opérationnelle. En l’occurrence, cette phase de consultation a permis de confirmer que l’accélération du virage numérique en santé est encore freinée par plusieurs facteurs. »
Quels sont ces freins ?
Dominique Pon : « Le premier tient au fait que l’usager reste « l’oublié » de ce virage numérique. Souvent réduit à un rôle passif dans la construction de son parcours de soin, il ne dispose pas des moyens lui permettant d’être véritablement acteur de sa santé. De l’autre côté, les professionnels sont confrontés à une offre numérique morcelée qui complexifie leur pratique au quotidien. Aujourd’hui, le manque de cohérence et de communication des systèmes d’information pénalise notamment les échanges d’informations entre soignants autour du patient. »
Dans ce contexte, quelles sont vos propositions ?
Dominique Pon : « Nous plaidons en faveur d’un numérique au service de l’humain. Nous avons préconisé un travail en amont sur les valeurs et l’éthique du numérique en santé : éthique de la sécurité des données, des algorithmes de l’intelligence artificielle, des pratiques de soins et des décisions… En d’autres termes, il nous paraît essentiel d’inscrire le déploiement de l’e-santé en France dans un cadre de valeurs et un référentiel partagé par tous les acteurs concernés. Nous proposons également le lancement d’un projet emblématique qui fédèrera les acteurs institutionnels, publics et privés au service des usagers du système de santé. Concrètement, il s’agit de créer pour chaque citoyen, dès sa naissance, un Espace Numérique de Santé, sécurisé et personnalisé, lui permettant d’avoir accès à l’ensemble de ses données de santé tout au long de sa vie. Accessible sur tous les supports numériques (ordinateur, smartphone, tablette, borne interactive…), il pourra également offrir à chacun la possibilité d’accéder à un « store » de services et d’applications de santé (agenda, informations sur les pathologies, annuaires professionnels…) référencés et validés par les pouvoirs publics, et constituer ainsi un outil efficace d’éducation et de prévention, notamment pour les jeunes générations. »
Vous déplorez dans votre rapport, une offre numérique morcelée, ne répondant pas aux besoins des professionnels de santé. Quelles solutions pourraient être mises en œuvre ?
Dominique Pon : « Paradoxalement alors qu’il existe déjà de nombreux outils, l’offre reste peu lisible, complexe à intégrer et génère de l’insatisfaction. C’est pourquoi nous préconisons le développement d’un bouquet de services numériques de base, clés en main (messagerie sécurisée, outils de télémédecine, de prescription…), que les professionnels et les établissements de santé pourront s’approprier via un accès unifié et simplifié. De leur côté, les acteurs de l’écosystème numérique (éditeurs, industriels, startups) pourront développer autour de ce socle de base des solutions à forte valeur ajoutée. Pour favoriser l’innovation, nous proposons ansi de créer au sein du Ministère un « lab » e-santé, ouvert aux professionnels et aux établissements de santé, aux industriels, aux startups et aux chercheurs. Son rôle serait notamment de faire émerger de nouveaux concepts et usages en matière d’e-santé, de tester les offres des startups, de mettre en relation concepteurs, utilisateurs et investisseurs, de réaliser des veilles, des benchmarks et des études prospectives, ou encore d’organiser des concertations citoyennes et des concours d’innovation. »
Propos recueillis par Chantal Delsouc, MID e-news