Printemps 2023, dans l’Aveyron, là où les plateaux rocailleux cachent des ambitions bien trempées. Une bande de geeks, juristes et comptables prête à tout bousculer. ChatGPT déferle, et pour Raphaël Blanc, 28 ans, c’est une épiphanie. De cette intuition jaillit JurIA, une startup qui bouscule le secrétariat juridique des experts-comptables avec l’IA. Une histoire d’innovation, d’amitié et de racines bien plantées.
Raphaël Blanc n’a rien du rêveur éthéré. Hypokhâgne, droit des affaires, Master 2 DJCE en poche et un passage chez KPMG Avocats : son parcours est celui d’un besogneux qui aime décortiquer les mécaniques. « Accompagner un client, comprendre les rouages de son commerce, c’est passionnant », confie-t-il. Mais la réalité du barreau le rattrape : des actes répétitifs, des corvées juridiques qui, chaque année, plombent l’ambiance d’avril à juillet. Désillusionné, il bifurque vers un cabinet d’expertise comptable comme responsable juridique. Sous l’aile de Vincent Bouchard, un nom à retenir, il gère un millier de clients, structure un pôle, forme des jeunes. Mais derrière le juriste appliqué palpite un geek qui défie l’oubli des temps. Et dans le remou des zèles quotidiens, lui zieute la tech, prêt à prendre la crête.
GPT : l’idée qui dope la team p’tit à p’tit
« J’ai vu ChatGPT débarquer en novembre 2022, et bim, ça a tilté : tout allait bouger, et vite », se rappelle Raphaël. Une idée germe, et l’apprenti entrepreneur rallie une tribu prête à relever le défi : Romain Lagarde à l’informatique, Martin Caville en commercial, Vincent Bouchard aux comptes. Autour d’eux, une équipe hétéroclite suit le pas : docteur en IA, juristes et ex-collaborateurs comptables embarquent. Une dizaine de têtes unies par une confiance brute, sans organigramme rigide. Avril 2023, JurIA voit le jour.
Une IA qui fait le sale boulot
« Mais JurIA, c’est quoi au juste ? » Un agent d’IA qui automatise le secrétariat juridique pour les cabinets d’expertise comptable. « Oui d’accord, mais concrètement ? » Approbations de comptes en cinq minutes chrono, signatures électroniques, ou encore dépôts au guichet unique. Le comptable répond à quelques questions simples, posées par un chatbot qui ne s’embarrasse pas de politesses inutiles. L’outil puise ses infos directement dans le registre national des entreprises via l’INPI, les croise avec des algorithmes faits maison, et livre des documents au cordeau, sans une virgule qui dépasse. Résultat : une tâche qui prenait la matinée est bouclée avant que le café ne tiédisse.
Disruptif, collaboratif, local : le tiercé gagnant
« On mise sur un chatbot qui change l’expérience utilisateur », revendique Raphaël. Là où d’autres s’éparpillent dans l’analyse ou la recherche juridique, JurIA se focalise sur la production de documents, le cœur économique des cabinets. Experts-comptables et juristes collaborent en direct sur la plateforme, un atout rare. Et l’ancrage local fait la différence : l’outil s’adapte aux petits cabinets comme aux gros, le tout hébergé chez OVH, en local, loin des serveurs américains et de leurs promesses floues sur la confidentialité. « On ne tolère pas l’erreur avec nos clients », assène Raphaël, presque comme un mantra.
JurIA veut séduire les irréductibles, même ceux qui s’accrochent encore à leur suite Office comme à une bouée en pleine tempête. Pour les petits cabinets, souvent laissés pour compte par les solutions numériques des gros joueurs, c’est une bouffée d’air frais. Les autres, dont quelques grands noms tapis dans l’ombre des early adopters, saisissent déjà l’opportunité pour prendre une longueur d’avance, alors que le produit n’est encore qu’en bêta.
Une bande bardée de cran
Chez JurIA, l’équipe, c’est sacré. Romain, le DSI, c’est l’ami d’enfance de Raphaël, avec qui il a fait les quatre cents coups. Martin, le commercial, un cousin quasi-frère par le sang. Quant à l’expert-comptable, Vincent, c’est le beauf de Martin. La boucle est bouclée. « On peut tout se dire », revendique Raphaël, une pointe de fierté dans la voix. Cet esprit de famille se traduit en actes : un plan BSPCE pour lier les salariés au capital, des décisions prises en cercle, une voix par tête. « On a formé nos devs au droit, ils m’ont mis le pied au code : c’est du donnant-donnant », ajoute-t-il.
600 000 euros et des rêves à taille humaine
Début 2025, JurIA lève 600 000 euros sous le radar. « Une nouvelle étape », lance Raphaël, le regard tourné vers demain. Boostée par l’incubation chez Nubbo à Toulouse, cette manne doit doper la commercialisation, peaufiner l’outil et paver la voie à une croissance maîtrisée. L’ambition reste claire : viser la rentabilité sans vendre l’âme d’une boîte à taille humaine.
Et dans cinq ans ?
« Toujours en Occitanie, avec la même équipe. Peut-être un peu plus grande, mais pas trop quand même », projette Raphaël. Une boîte prospère, qui les fait vibrer et répond aux besoins de la profession. Car JurIA, c’est avant tout cette histoire de potes qui ont transformé une intuition en outil malin, loin des chimères de licorne et des rêves de Silicon Valley. Juste une ambition nette et pragmatique, taillée dans le roc aveyronnais.
Sur la photo: Raphaël Blanc, CEO de JurIA (© Clément Seilhan).