Écrans, fibre, IA : la grande bascule des usages numériques en France

Les Français n’ont jamais été aussi connectés — ni aussi ambivalents face au numérique. Dans leur cinquième référentiel commun, l’Arcep et l’Arcom dressent le tableau d’un pays ultra-équipé, où la fibre et la 5G s’imposent, l’IA générative explose… et l’empreinte environnementale s’alourdit. Derrière la frénésie d’écrans, le rapport révèle une fatigue latente et des usages en mutation.

Quatre heures par jour. C’est, en moyenne, le temps que les Français consacrent désormais à leurs écrans pour leurs usages personnels. Un quart de leur journée éveillée. Et ils sont 42 % à trouver que c’est déjà trop. Ce chiffre n’est qu’un fragment de l’instantané capturé dans la cinquième édition du « Référentiel commun des usages numériques », publié par l’Arcep et l’Arcom. Un document copieux, précis, presque clinique, mais qui dessine en creux une société profondément transformée par le numérique.

Fruit de la collaboration entre les deux autorités au sein du Pôle numérique commun, ce référentiel est devenu, au fil des éditions, la boussole statistique des mutations numériques françaises. La cuvée 2025 ne se contente pas de comptabiliser les kilomètres de fibre déroulés ou les mégawatts engloutis. Elle s’attaque aussi à des terrains plus mouvants : la perception de l’intelligence artificielle, la consommation audiovisuelle, la charge environnementale.

Fibre et 5G : croissance continue, adoption massive

Les chiffres sont sans appel. En dix ans, les abonnements à la fibre sont passés de moins d’un million à 24,4 millions fin 2024. Une explosion. Côté mobile, la 5G n’est pas en reste : 24,3 millions de cartes SIM y étaient actives fin 2024, soit 10 millions de plus en un an. Le très haut débit n’est plus une promesse d’aménagement, c’est un fait social.

Cette infrastructure soutient un usage toujours plus intense et polymorphe d’internet. 94 % de la population française est connectée. Les données entrantes chez les fournisseurs d’accès à internet continuent de gonfler (+8 % au second semestre 2023), alimentées en majorité par cinq géants : Netflix, Google, Akamai, Meta et Amazon. Une concentration révélatrice du paysage numérique.

L’IA entre fascination et inquiétude

Mais au-delà des canaux, c’est la nature des usages qui intrigue. En deux ans à peine, l’intelligence artificielle générative a conquis un tiers de la population, avec un pic spectaculaire chez les 18-24 ans (77 %). Une adoption fulgurante, à la hauteur des interrogations qu’elle suscite : 62 % des Français la perçoivent comme une menace pour l’emploi.

Le référentiel consigne ainsi une société partagée entre enthousiasme technologique et vertige existentiel. Un équilibre instable où l’innovation fascine autant qu’elle inquiète.

Smartphones rois, téléviseurs relégués

L’année 2024 marque aussi un basculement symbolique : le smartphone devance pour la première fois le téléviseur comme principal terminal de visionnage vidéo (93 % des foyers en sont équipés, contre 89 % pour les téléviseurs). Les contenus, eux, se fragmentent : les chaînes linéaires gratuites restent les plus regardées (80 % des Français les consultent au moins une fois par semaine), mais près de la moitié visionnent aussi des émissions via les réseaux sociaux ou les plateformes vidéo. Même logique du côté audio : si la radio en direct reste le réflexe majoritaire, les plateformes de streaming, podcasts et réseaux sociaux grignotent du terrain, souvent en complément.

L’impact environnemental devient visible

Derrière cette frénésie d’usage, les indicateurs environnementaux virent à l’orange vif. Les opérateurs de centres de données voient leur empreinte grimper sur tous les fronts (électricité, eau, gaz à effet de serre). Les réseaux mobiles, eux, pèsent de plus en plus lourd dans la facture énergétique des télécoms.

Pour la première fois, le rapport quantifie l’empreinte carbone des usages audiovisuels : 5,6 MtCO2 équivalents en 2022, soit 0,9 % de l’empreinte totale du pays. Les terminaux (téléviseurs, smartphones, box, etc.) en sont les principaux coupables. Et si rien ne change, cette empreinte pourrait croître de 29 % d’ici 2030. À l’inverse, des mesures ciblées (écoconception, sobriété d’usage) permettraient d’alléger la facture d’un tiers.

Vers une fatigue numérique ?

Ce que révèle, en creux, ce cinquième référentiel, c’est une forme de saturation. Non pas dans l’usage — qui continue de croître — mais dans le rapport émotionnel aux écrans. 19 % des répondants jugent passer « beaucoup trop » de temps devant eux. Un chiffre à la fois modeste et lourd de sens. Il dit une fatigue. Une ambivalence. Une conscience naissante que le numérique, s’il est omniprésent, n’est pas neutre. Ni pour le cerveau. Ni pour la planète.