Quel rôle pour le digital dans la banque de demain ? Interviews croisées de Pierre Carli, Président de la Caisse d’Epargne de Midi-Pyrénées et d’Yves Tyrode, Directeur Général du digital du groupe BPCE.
Le groupe BPCE (Banque Populaire/Caisse d’Epargne) a engagé sa transformation numérique en 2014 et s’apprête à lancer une série de nouveaux services digitaux au second semestre 2018. Entretiens croisés avec Pierre Carli, Président de la Caisse d’Epargne de Midi-Pyrénées, et Yves Tyrode*, Directeur Général du digital du groupe BPCE.
Si vous ne comprenez pas ce que signifie « 89C3 », c’est que vous ne parlez pas le « leet speak » (traduisible par « langage de l’élite »), très utilisé par les geeks. En l’occurrence, cela veut dire BPCE et c’est au 89C3 Center, le centre de développement numérique du groupe BPCE, qu’était organisée la conférence sur la transformation digitale de la banque, le 28 juin 2018.
- A quoi sert le 89C3 Center ?
Yves Tyrode : Le groupe BPCE a choisi de créer le centre national de développement de ses services numériques à Toulouse. Ce centre travaille notamment sur le développement de nouveaux services sur les smartphones, qui représentent aujourd’hui 70% des consultations en ligne. Ces nouveaux services seront officiellement lancés durant le second semestre 2018. Le groupe compte 15 millions de clients en France et 4 millions d’entre eux utilisent d’ores et déjà l’application mobile, avec 14 connexions par mois en moyenne. Dans ce domaine, la Caisse d’Epargne de Midi-Pyrénées joue régulièrement un rôle pilote.
- La Caisse d’Epargne de Midi-Pyrénées va-t-elle devenir une banque en ligne ?
Pierre Carli : Non. Sa vocation est de s’adapter aux attentes du client. En fonction de son âge et de la nature de l’opération, il doit pouvoir choisir entre un contact avec un conseiller en agence ou une réalisation 100% en ligne. Ce n’est pas de la science-fiction : les ordres de bourse électroniques ont été lancés en France voici 30 ans et personne ne s’étonne que seuls 2% des ordres soient réalisés aujourd’hui en agence. La Caisse d’Epargne de Midi-Pyrénées compte ainsi 261 000 clients et 206 000 sont déjà utilisateurs de nos « e-relevés ». Nous entendons aller plus loin et qu’aucune banque à réseau n’ait une offre digitale supérieure à la nôtre.
- Doit-on s’attendre à ce que la Caisse d’Epargne de Midi-Pyrénées ferme des agences ?
Pierre Carli : La banque change de métier et n’a logiquement pas besoin du même nombre d’agences. Sur le territoire, il y en avait 240 en 2016 et 200 aujourd’hui. Nous pensons qu’il en existera 170 en 2020, mais il sera difficile d’aller en deçà en maintenant un maillage local fort. La transformation digitale doit nous permettre de renforcer nos parts de marché et d’accélérer notre diversification.
- Le modèle économique des banques à réseau est-il encore viable ?
Pierre Carli : Oui, mais il évolue pour s’adapter à une réalité simple : notre marge est passée de 2% en moyenne à 1%. Il faut donc changer, par exemple en devenant un acteur encore plus important du développement local, comme nous l’avons fait en devenant l’actionnaire de référence du Marché d’Intérêt National (MIN) de Toulouse. Nous évoluons également en formant nos collaborateurs. 50% d’entre eux se sont d’ores et déjà engagés dans notre programme de formation.
- Ces évolutions ne marquent-elles pas la victoire des banques en ligne sur les banques « traditionnelles » ?
Pierre Carli : D’une part, il faut rappeler que la très grande majorité des personnes qui ont ouvert un compte dans une banque en ligne a conservé celui qu’elles avaient dans leur banque dite « traditionnelle ». D’autre part, comme le disent les professionnels du marketing, les moustiques n’embêtent pas les rhinocéros.
- Quels sont les nouveaux services qui seront proposés ?
Yves Tyrode : Il y a deux grands challenges pour nous dans le domaine du digital : le lancement de nouveaux services, bien sûr, mais aussi de passer un grand nombre de processus à 100% de numérique, alors qu’une partie seulement se passait jusqu’à présent en ligne. Les nouveaux services que nous lançons d’ici fin 2018 concernent le pilotage de la carte bancaire, la possibilité de faire opposition depuis son smartphone, le montage et l’obtention d’un crédit à la consommation ou d’un crédit professionnel, la possibilité d’obtenir une « proposition engageante » de la banque pour un crédit immobilier…
- Et ensuite ?
Yves Tyrode : Ensuite, nous proposerons plusieurs services fondés sur ce que l’on appelle le « data cleaning ». Je ne peux pas en dire beaucoup sur la prochaine génération de services digitaux, dont le nom de code est « Deep Purple », mais nous proposerons notamment la possibilité d’avoir des relevés compréhensibles, le numéro de l’opération étant remplacé par celui du commerçant, ce qui suppose pour nous de renseigner les champs un à un. Nous travaillons pour cela avec une entreprise d’origine islandaise, qui s’appelle Meniga. Cela permettra aux clients d’avoir un historique plus facilement lisible sur les 26 derniers mois.
Globalement , ce qu’il faut retenir, c’est que le groupe BPCE va passer d’un budget annuel qui sera de 100 millions d’euros cette année à un budget annuel de 600 M€ dans quelques années.
Propos recueillis par Pascal Boiron
* Avant de devenir Directeur Général du digital du groupe BPCE, Yves Tyrode a notamment été en charge de sujets liés au numérique chez Orange et à la SNCF.