Henri d’Agrain, Cigref : « Nous manquons de cerveau d’œuvre ! »

Entretien avec Henri d’Agrain, Délégué général du Cigref, concernant les principaux sujets traités par l’association en 2019 et son implication en Occitanie.

Créée voici presque 50 ans, le Cigref (c’est désormais un nom, mais textuellement, cela signifiait : Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises) est une institution qui rassemble environ 150 membres, dont les plus grands groupes français des secteurs privés et publics. Lorsqu’elle a été fondée, l’association permettait notamment aux entreprises de réfléchir à l’arrivée de l’informatique et de parler « d’une seule voix » au fournisseur dit « hégémonique » de l’époque, à savoir IBM. Aujourd’hui, le Cigref doit faire face à plusieurs fournisseurs en situation hégémonique, dont Microsoft, Google, Amazon Web Services, Oracle, SAP, Salesforce… ou encore IBM.

  • Quels sont les principaux sujets de 2019 pour le Cigref ?

Henri d’Agrain : Il est impossible de les citer tous, mais on peut évoquer les thèmes liés à la formation, aux compétences et aux talents du numérique. Le fait que les entreprises françaises – ou européennes, d’ailleurs – ont des difficultés pour recruter dans le secteur du numérique est connu. Par contre on ne prend pas vraiment la mesure des dégâts que cela peut poser sur l’activité économique de l’Hexagone ou du Vieux Continent. Aujourd’hui, les véritables frontières séparent les pays qui peuvent s’appuyer sur des compétences dans le numérique et ceux qui ne le peuvent pas. Dans ce contexte, la problématique n’est plus liée à la main d’œuvre, mais au « cerveau d’œuvre », expression forgée par Jean-Pierre Corniou, ancien Président du Cigref.

  • Quelles-sont les propositions du Cigref pour sortir de cette situation ?

Henri d’Agrain : Le rôle du Cigref n’est pas d’apporter « Les » bonnes solutions. Notre analyse est fondée sur des retours d’expérience, sur des constats. Au sein de la Direction des Systèmes d’Information, nous avons recensé pour l’instant une cinquantaine de métiers, mais allons en dénombrer bien plus. es domaines où la France et l’Europe sont en retard ne concernent pas les métiers du numérique dits « basiques » : là où les pénuries sont les plus importantes, ce sont les profils « spécialisés » et associés à un niveau de formation élevé. Nous ne disons pas que rien n’est fait : des initiatives ont été prises par l’Etat et le Gouvernement, mais nous constatons qu’il faut aller plus loin et plus vite. L’Europe ne doit pas se contenter de consommer des applications conçues ailleurs dans le monde, en Amérique du Nord ou en Asie notamment.

En l’occurrence, nous sommes très attentifs à la mise en place de la 5G, car cela aura des répercussions bien plus lourdes qu’on l’imaginait sur l’architecture des systèmes d’information. La 5G ne sera pas une « amélioration » de la 4G : c’est une « disruption ».

  • La cybersécurité revient régulièrement dans les discours du CIGREF : est-ce un sujet d’inquiétude ?

Henri d’Agrain : Pour le Cigref, c’est un sujet d’intérêt, pas forcément d’inquiétude. Nous cernons bien désormais les enjeux économiques et géopolitiques liés à la cybersécurité. Nous ne nous sommes pas fixés pour objectifs d’éradiquer toute menace, car ce serait illusoire. De même, nous savons qu’il est impossible d’édicter un code de conduite respecté par tous, mais il semble indispensable d’avoir une instance internationale pour réguler le cyberespace et éviter les dérives du type « hack back » (ndlr : dite « légitime défense » pour le numérique).

  • Ces débats semblent laisser peu de place aux femmes : en sont-elles exclues ?

Henri d’Agrain : Non ! Nous sommes affligés par la faible proportion de femmes dans les services informatiques, proportion que nous retrouvons dans les écoles d’ingénieurs. Nous devons toutes et tous admettre que cette responsabilité est collective, car cela met en cause notre modèle d’éducation et le « déterminisme » qui en résulte. Nous entretenons tous, familles, enseignants, éducateurs, ce détermisme qui tend à éloigner les filles des métiers du numérique. Ce n’est pas une fatalité et c’est l’enjeu de la démarche Femmes@Numérique, initiée par le Cigref avec le Syntec Numérique, en faveur de la féminisation des métiers du numérique.

  • Le Cigref peut-il s’engager sur le territoire de l’Occitanie ?

Henri d’Agrain : Il y a deux sujets forts sur lesquels nous souhaitons nous engager en Occitanie, avec la Région et avec l’association La Mêlée : augmenter la proportion de femmes dans les métiers du numérique et faciliter la transformation digitale des TPE et des PME. Ce focus ne concerne pas que l’Occitanie bien sûr, et concerne tous le territoire national. Mais la plupart des membres du Cigref sont présents en Occitanie et y développent leurs activités..

Propos recueillis par Pascal Boiron, MID e-news