Labessière-Candeil, 10 mars 2025. Le Tarn s’éveille sous un soleil clair, et sur le site de Trifyl, une usine de tri et de valorisation des déchets devenue terrain d’innovation, les idées circulent aussi vite que les données. Ici, à quelques kilomètres de Graulhet, élus locaux, ingénieurs, agents publics et experts du numérique ont rendez-vous autour d’un enjeu discret mais structurant : comment l’Internet des Objets (IoT) peut, concrètement, transformer les politiques publiques en milieu rural.
La journée, co-organisée par La Mêlée – catalyseur du numérique en Occitanie – et l’UGAP, la centrale d’achat public, avait pour ambition de faire parler le terrain avant les discours. Objectif : dépasser les grandes intentions pour interroger les usages réels, les obstacles techniques et les ambitions encore à bâtir.
Cafés, capteurs, et maires convaincus
Il est à peine 9h, les gobelets fument et les discussions s’échauffent. Francis Monsarrat, maire de Labessière-Candeil, entre dans le vif : ici, l’IoT ne relève plus de la spéculation technophile. Détection des niveaux de déchets, qualité de l’air, sécurité des systèmes : les capteurs sont déjà là. La question n’est plus de savoir s’il faut s’y mettre, mais comment aller plus loin sans perdre le fil.
Quand les silos ne se parlent pas
La table ronde animée par Louis Salgueiro, responsable Mission Territoires intelligents et durables à La Mêlée, offre un panorama sans langue de bois. Nicolas Massey, DSI de la mairie de Colomiers, met le doigt là où ça pique : « Nous avons des objets connectés depuis des lustres. Chaufferies, gestion de l’eau, chaque métier a empilé ses données en silos, dans son coin. Le hic, c’est que ces silos s’ignorent. » La promesse de l’IoT n’est donc pas qu’une affaire de capteurs, mais d’interopérabilité. Derrière, se dessine une vraie gouvernance de la donnée, qui reste encore floue pour beaucoup de collectivités.
Bernard Paris (Linkt) rappelle que sans infrastructures réseau fiables et sécurisées, aucune stratégie n’est viable. Stanley Claisse, avocat, et Étienne Sandeyront (UGAP), élargissent encore la focale : au-delà de la technique, c’est une vision politique qu’il faut poser, un cadre juridique, des modèles économiques durables. Ce qui manque, parfois, ce n’est pas la technologie, mais la lisibilité.
Quand les solutions prennent forme
L’enchaînement de pitchs lève le voile sur des réponses déjà à l’œuvre. “Territoires de demain”, l’offre présentée par l’UGAP, équipe les écoles, sécurise les zones inondables, mesure les flux. Le mot-clé ici, c’est utilité : des solutions concrètes, éprouvées, adaptables. Bernard Paris enchaîne sur les réseaux WAN, qui connectent bâtiments publics et capteurs en un système cohérent. Ce n’est pas encore un “territoire intelligent”, mais c’est un territoire qui apprend à se parler.
Trifyl : usine modèle ou laboratoire en tension ?
À quelques mètres de là, le centre de tri de Trifyl fait office de vitrine. Capteurs de température, alertes de maintenance, gestion des flux : l’usine fonctionne comme une partition réglée au degré près. Élisabeth Huc, cheffe des systèmes d’information, en dévoile les coulisses. Mais elle n’élude pas la faille : « Une cyberattaque l’an dernier a tout figé un vendredi soir. Ce fut un électrochoc. » Preuve que l’ultra-connexion n’est pas un luxe neutre, mais un enjeu de souveraineté.
Pour Alex de Nardi, conseiller municipal à l’innovation, cette usine est bien plus qu’un centre de tri. Elle produit biogaz, compost, chaleur, et demain peut-être hydrogène, CO₂ pour serres agricoles, granulats pour béton. C’est un modèle circulaire, qui pourrait bien devenir emblématique d’un numérique sobre, enraciné, productif.
Et maintenant ?
En quittant Trifyl, les visiteurs emportent plus que des chiffres ou des démonstrations. Ils emportent un récit possible, celui d’un numérique au service des usages réels, pas des buzzwords. Mais ce récit suppose des choix : faire parler les plateformes entre elles, investir dans les tuyaux invisibles, structurer les compétences au sein des territoires.
L’IoT rural n’a rien d’un gadget. Il est un levier – encore fragile, encore imparfait –, mais dont le potentiel ne demande qu’à être orchestré. Comme toujours, c’est moins une question de technologie que de volonté. Et cette volonté, ce 10 mars, on l’a vue pointer.