Intelligence artificielle. Linagora répond aux critiques sur Lucie

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ToulÉco

C’est le bad buzz du week-end. À peine ouvert, l’accès à la nouvelle IA française Lucie a été arrêté suite à un afflux de moqueries des internautes qui lui reprochaient, à raison, ses réponses absurdes. Ses concepteurs, en partie basés à Toulouse au sein de l’entreprise Linagora, défendent leur outil et s’expliquent.

Lucie a dit trop de bêtises, alors Lucie a été punie. Sans doute avez-vous vu ou entendu parler des déboires de la jeune IA française, que l’on dit promise à l’Éducation nationale [1], alors que la pauvre est aussi mauvaise en maths qu’en histoire ou en SVT. Face aux railleries, l’accès au chat a été refermé dimanche 26 janvier, trois jours à peine après son ouverture au grand public. Trop tard. Les crucheries de Lucie sont devenues virales et ses concepteurs tâchent tant bien que mal d’essuyer les plâtres de cette entrée ratée.

Derrière Lucie se cache l’entreprise Linagora, un éditeur de logiciels libres (« open source ») basé en région parisienne, qui compte 180 salariés dont 35 à Toulouse. Lucie serait-elle Toulousaine ? Eh bien oui ! « En partie », nuance Linagora. Au Laboïkos, où se trouvent leurs bureaux, cinq personnes ont contribué au développement du robot conversationnel, sous l’égide de Jean-Pierre Lorré, directeur des activités de recherche de l’entreprise. Dans la Ville rose, l’ambiance est morose : « J’ai mal dormi ce week-end », avoue-t-il tristement.

« Une problème de com’ »

Lucie méritait-elle tant de critiques ? Ses concepteurs défendent leur progéniture, mais reconnaissent sans mal avoir fait « une très grosse erreur » de communication. « Lucie est un modèle expérimental, une preuve de concept, pas un produit fini. Elle a fait 600.000 heures de pré-entraînement et démarre tout juste son instruction. On aurait dû avertir plus clairement le public et mettre des garde-fous », regrette le directeur général de Linagora, Michel-Marie Maudet.

« Lucie.chat ressemble beaucoup trop à ChatGPT, ce qui fait qu’on en attend la même chose alors qu’ils sont très différents », ajoute Jean-Pierre Lorré. « D’abord, Lucie est entièrement open source, son modèle et ses données sont publics. Par ailleurs, nous l’avons entraînée à 50 % en français, ce qui permet d’obtenir un meilleur niveau de rédaction et, surtout, d’éviter les biais culturels », souligne-t-il. À noter aussi que « Lucie 7B », pour « sept milliards de paramètres », est bien plus petite que le géant américain, qui en compterait entre dix et cent fois plus.

Lucie 2, le retour

La critique est aisée mais l’IA est difficile. « Ce n’est pas comme si on vivait dans un monde rempli d’IA génératives super matures », tacle Yann Ferguson, sociologue à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). À l’instar d’autres spécialistes de l’intelligence artificielle, l’expert soutient fermement Lucie. « Elle montre de grandes qualités. En revanche, Linagora aurait dû prendre le pouls émotionnel de la société vis-à-vis de l’IA et y aller par étapes », analyse-t-il. Michel-Marie Maudet l’a bien compris. « Nous travaillons sur une nouvelle bêta pour un lancement début mars, dans un premier temps uniquement en accès privé avant de rouvrir au grand public », annonce-t-il.

Jean-Pierre Lorré tient aussi à rassurer ceux qui s’inquiètent de voir une Lucie sans filtre débarquer prochainement dans les salles de classe. « Lucie est un modèle fondation, jamais elle ne sera déployée telle quelle dans le système éducatif. De plus, on réfléchit principalement à des outils pour les enseignants plutôt que pour les élèves », répond-il. Le projet, baptisé OpenLLM France, est mené par un consortium dans lequel sont engagés Linagora et d’autres acteurs de la Tech, tels que le CEA, l’Idris (CNRS) ou encore Class Code, une association d’éducation à la culture numérique.

Lucie devrait donc refaire bientôt parler d’elle. Mais, au fait, pourquoi Lucie s’appelle-t-elle ainsi ? « Une double référence à l’australopithèque et au film, d’un côté les origines et de l’autre le futur… », répond Jean-Pierre Lorré, son sourire retrouvé. Dans le long-métrage de Besson, son héroïne est d’abord piégée, manipulée et violentée avant de voir ses capacités cérébrales se décupler ; enfin, ayant acquis le savoir absolu, elle devient omniprésente. De bon augure !
Marie-Dominique Lacour

Sur les photos : Illustration de Lucie, l’IA française de Linagora. Crédits : Linagora. // Jean-Pierre Lorré, directeur des activités de recherche chez Linagora, dans leurs bureaux toulousains au LabOïkos.

Notes

[1] Tout a commencé sur X, vendredi 23 janvier 2025 : Eduscol, compte officiel lié au ministère de l’Education nationale, fait la promotion de Lucie dans ce message : « L’accès à la première version de #LUCIE est ouvert au public en test pour une durée d’1 mois. Cette IA #opensource développée par @linagora et @openllm_france devrait être adaptée pour le monde de l’éducation courant 2025. » Ses failles rapidement découvertes, les internautes s’en donnent à cœur joie, amusés mais également inquiets de voir un tel programme atterrir entre les mains de jeunes élèves.